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Discours de Jean-Paul Faugère - Matinée de la protection de la clientèle des banques et des assurances
Mise en ligne le 14 Mars 2025

Maison du Barreau, 14 mars 2025
Discours de Jean-Paul Faugère
Vice-président de l’ACPR
Je suis heureux d’ouvrir cette matinée consacrée à la protection de la clientèle. Il sera beaucoup question d’assurances, mais pas seulement. Les enjeux sont multiples et les tables rondes qui vont se succéder traiteront de sujets très divers, mais leur point commun est d’être sensibles pour un très grand nombre de personnes.
Les pratiques commerciales sont constamment à l’épreuve, entre les exigences d’une distribution très large au bénéfice d’une clientèle grand public aux besoins variés, et la nécessité d’une organisation efficace dans une logique de rentabilité et d’efficacité ; et les assureurs y sont tenus comme toute entreprise. Entre les concepts généraux, les règles de conformité, et la pratique de terrain, on sait bien que la tension est permanente et justifie une attention de tous les instants.
La plupart, voire la quasi-totalité des professionnels y mettent une énergie remarquable et l’état général du marché sous notre regard démontre le professionnalisme des acteurs. Pourtant, soit que les règles soient insuffisamment assimilées, soit que l’arbitrage soit parfois délibérément fait au profit de la marge opérationnelle, en mettant au second rang les règles de conformité qui font de l’intérêt du client un principe cardinal, force est de reconnaître qu’encore et toujours des ajustements sont nécessaires, voire de réelles corrections. Cela explique que nous trouvons au programme de cette matinée des sujets déjà maintes fois évoqués lors des conférences du contrôle ou dans nos publications. Ainsi par exemple des contrats obsèques, en souhaitant qu’il n’y ait plus motif d’y revenir lors des prochaines conférences, parce que nous aurons été entendus.
J’observe d’ailleurs qu’à l’occasion de certaines des affaires qui ont défrayé la chronique, on voit ici ou là poindre des allusions au fait que l’ACPR aurait pu agir plus tôt. D’abord je mets au défi quiconque de montrer qu’il était possible de mettre plus rapidement en échec ces pratiques en respectant l’ordre juridique qui préserve les droits de la défense. Ensuite qu’il soit permis de relever que de simples rumeurs émanant de concurrents ne sauraient suffire.
Enfin, il peut être parfois surprenant de voir que les acteurs d’une chaine de distribution, au fait de dérives, continuent à traiter les affaires ainsi réalisées.
Une telle aberration peut fragiliser la confiance dont le système a besoin. Elle comporte aussi inévitablement l’éventualité de réactions du régulateur.
L’exemple des textes successifs intervenus sur la vente à distance en témoigne. Une proposition de loi est à nouveau en cours d’examen pour interdire toute démarche commerciale par téléphone qui n’aurait pas été précédée d’un consentement explicite préalable. Même si le projet dépasse de loin la sphère des services financiers, le message est clair. La conformité des pratiques est le gage de la stabilité des normes, et de la confiance. On ne peut que souhaiter en particulier que les associations auxquelles les intermédiaires financiers, en assurance comme en opérations de banque, doivent adhérer en application de la loi du 8 avril 2021, agissent pour diffuser efficacement les bonnes pratiques conformément à leur vocation, après la période de mise en place de ces associations.
Dans le même ordre d’idées, j’observe avec intérêt que les pratiques de rémunération des intermédiaires en assurance ont fait l’objet d’une recommandation de France Assureurs à la fin de l’année dernière en ce qui concerne la précompte ou l’escompte de commissions. Cette initiative bienvenue ne peut qu’être appréciée par les professionnels sérieux comme elle l’est par l’ACPR. Elle vient conforter l’application des principes mêmes de la distribution de produits d’assurance issus de la directive DDA. La philosophie de cette directive, en vigueur depuis bientôt 7 ans, donne à tout client ou prospect, lorsqu’il bénéficie d’un conseil, une garantie de qualité.
Cette garantie suppose que le distributeur ne soit pas en situation de conflit d’intérêt. Les mécanismes de rémunération des distributeurs sont visés au premier chef. L’ACPR a émis pour sa part en 2023 et 2024 deux recommandations qui traitent du sujet. Le principe de base est que l’intérêt du client est premier, comme vous le savez bien. C’est vrai en assurance comme pour la distribution de produits bancaires. Les orientations de l’EBA sur la gouvernance et la surveillance produits sont parfaitement en ligne avec cette doctrine.
Nous insistons comme vous le voyez bien sur une déclinaison du principe, de la conception du produit, avec la nécessité de bien définir un marché cible et une stratégie de distribution, au suivi de sa distribution au long de son cycle de vie.
Cela suppose que le concepteur s’attache à la qualité de la distribution et s’estime co-responsable de cette qualité. Il est de son intérêt d’élaborer des indicateurs pertinents, non seulement comme ils le font tout naturellement à des fins commerciales, mais aussi de conformité. Il est aberrant de voir que certains acteurs ne se mobilisent que lorsque le S/P en dommage dérive à la hausse, alors que sa chute à un niveau dérisoire devrait être un signal d’alerte, de même qu’un taux de refus d’indemnisation anormalement élevé. Car de telles indications permettent entre autres de détecter effectivement un problème de conception ou de distribution, ou manifestent que le produit n’est pas compris ou ne sert pas à la couverture de risques.
Il n’est pas indifférent que la loi dite « industrie verte » du 23 octobre 2023 soit revenue sur la question du devoir de conseil. Elle en a développé le contenu, en particulier dans la durée, en prévoyant, en assurance vie, sa périodicité, voire sa nécessité en cas d’opération significative. Nos recommandations ont repris et détaillé les modalités de mise en œuvre de ce devoir de conseil dans la durée. Il n’est pas anodin que l’ACPR ait tenu à présenter une recommandation qui s’applique globalement à tous les contrats, y compris en non vie. Car le devoir de conseil est d’application générale, et il ne s’achève pas lors de la souscription du contrat comme le rappelle la cour de cassation dans sa décision du 5 juillet 2006.
Naturellement, l’acte individuel de délivrance du Conseil est du ressort du distributeur final, et de lui seul. Cependant la chaîne de distribution est tenue par une solidarité qui unit l’ensemble des acteurs de cette chaîne. Elle induit une responsabilité conjointe. L’assureur, voire le courtier grossiste, ne sauraient s’exonérer d’une vraie surveillance des pratiques de terrain. Et d’ailleurs il est difficile de croire que les pratiques du distributeur final ne sont pas connues de ses partenaires assureurs. Un devoir de contrôle et de surveillance existe à la charge de l’assureur ou du courtier grossiste.
Et s’il y a délégation, qu’il s’agisse d’actes de gestion ou d’action commerciale, il ne saurait y avoir déresponsabilisation. Il faut au contraire une surveillance, un contrôle de l’exécution pour une exacte mise en œuvre de la stratégie de distribution et le respect des règles protégeant la clientèle.
À ce jour, nous avons déployé des efforts significatifs de pédagogie pour que la mise en œuvre de DDA soit au meilleur niveau. Nous avons aussi laissé du temps pour que soient bien comprises nos recommandations de 2023 et 2024. La rigueur dans le contrôle s’impose désormais.
J’en viens à un deuxième thème au titre de la protection de la clientèle, celui qu’il est convenu d’appeler la VFM, acronyme barbare, anglophone bien sûr, la « value for money ».
J’ai conscience des controverses qu’il alimente. Non, il ne s’agit pas de faire renaître une police des tarifs au bénéfice d’une économie administrée ! Non, il n’est pas question d’empêcher les entreprises d’assurance de rechercher des marges et d’optimiser leurs résultats. Et troisième non, il serait illusoire de penser que le grand vent de la simplification, voire de la dérégulation pourra emporter avec lui le projet RIS, « retail investment strategy », et par là même toute attention à la VFM.
Je note que le projet RIS de la Commission reste toujours à l’agenda même si son contenu évoluera nécessairement au fil des débats à Bruxelles. De même que d’autres projets concernant l’industrie financière. La simplification qui est une ardente obligation en France comme au niveau de l’Union Européenne, ne saurait avoir pour objet, ni pour effet, de singer quelque forme de dérégulation. Les deux missions fondamentales qui sont les nôtres, la stabilité financière et la protection de la clientèle, justifient nos contrôles et les exigences de conformité qui s’adaptent à la nécessité des temps.
J’ajoute que la notion de VFM, autrement dit le rapport entre la qualité du service rendu et le prix facturé au client, est à la base d’un équilibre dans la relation contractuelle. C’est la confiance en l’utilité du service qui est en cause, et par là même la crédibilité des acteurs de l’industrie financière. Bien sûr son évaluation n’est pas réductible à de simples ratios, d’autant moins qu’en assurance la couverture d’un risque ne se mesure pas exclusivement en termes financiers.
Il n’en reste pas moins que le superviseur, indépendamment de toute norme européenne, autrement dit avec ou sans RIS, a une mission générale de protection de la clientèle et à ce titre doit évaluer si l’asymétrie d’information entre le professionnel et le public induit la réalisation d’une vulnérabilité au détriment du client. En assurance, le client n’a pas les moyens d’avoir une vue complète et objective du service rendu. L’assureur, quant à lui, doit l’avoir, y compris pour le compte du client, et cela doit éclairer le conseil qu’il donne, aussi bien que la conception du produit.
Il revient toujours à l’assureur d’apporter de la valeur dans le service rendu à l’assuré, bien sûr en contrepartie d’une prime qui couvre l’aléa et la rémunération des intervenants. Mais les tables rondes qui vont suivre illustreront que cette vision, a priori naturelle, peut revêtir parfois le caractère d’un idéal incertain.
Il arrive en effet que le produit constitue principalement une source de revenus pour la chaine de distribution et ne présente qu’un intérêt marginal pour le client. Naturellement, c’est une question d’appréciation que d’aucun pourrait estimer subjective. Mais il y a des ratios de S/P tellement faibles parfois que la discussion n’est plus recevable. Ainsi de certaines assurances affinitaires ou de produits para bancaires, avec des S/P de quelques pourcents. De même lorsque le taux de commissionnement dépasse 75% ou que le taux de refus d’indemnisation en cas de sinistres dépasse 50%. En ces cas, la couverture n’a-t-elle pas été surestimée par le client ou bien le client a-t-il eu vraiment conscience de l’existence de la garantie ?
Autre exemple : les assurances emprunteurs pour des crédits à la consommation de courte durée, voire des crédits renouvelables, ont des S/P inférieurs à 25% le plus souvent, ce qui interroge soit sur l’intérêt de l’assurance soit sur le modèle économique de sa distribution au regard des niveaux de commissionnements associés, très souvent au-delà de 50%.
Bien sûr, je n’ignore pas que l’économie de ces produits doit parfois être appréciée de manière conjointe avec d’autres lignes de produits grand public, dont l’attractivité est davantage exposée à la concurrence. Pour autant, l’ACPR n’estime pas légitime, ni sain, que des distorsions quant à la valeur d’un service au regard de son coût soient ainsi installées, loin de la vérité du prix, à la faveur de l’ignorance d’une clientèle souvent peu informée et financièrement fragile.
En résumé, il me semble que le S/P d’une ligne de produits doit naturellement faire l’objet d’un suivi, non seulement parce que du point de vue prudentiel il ne saurait induire un ratio combiné durablement supérieur à 100% mais parce qu’à la baisse, pour des lignes de produits grand public, il ne saurait être durablement inférieur à 30% sans appréciation circonstanciée du management, en vue de prévenir toute commercialisation qui ne pourrait être justifiée par l’intérêt du client.
Sur ce chapitre de la VFM, je ne saurais conclure sans évoquer l’assurance vie. Nous y travaillons depuis maintenant plusieurs années avec la profession. Et je lui rends hommage pour les résultats déjà obtenus. Elle a pris sur elle d’établir un suivi statistique des performances par rapport aux moyennes de marché et de recommander d’en tirer les conséquences, soit par ajustement des frais soit par déréférencement. Et en dernier lieu, elle a recommandé l’examen selon une méthodologie analogue des frais du contrat portant des UC. Je crois que l’engagement de la profession est réel et je suis persuadé que nous pourrons en faire prochainement un bilan chiffré très concret en faveur des épargnants.
Il nous reste une troisième étape à franchir, celle d’un examen des frais sur le fond euros, dont la méthodologie n’est pas évidente au regard des règles particulières qui s’appliquent déjà au partage de la production financière de ce compartiment. Mais je suis confiant dans la capacité collective à choisir une méthodologie pertinente.
L’ACPR attache du prix à ce bouclage d’un benchmark national, qui aura valeur de précédent en Europe, et dont l’autonomie pourra être légitimée. Le Président de l’ACPR et moi-même escomptons ce bouclage d’ici l’été.
Il n’est pas indifférent de relever que les premières analyses de l’EIOPA devraient déboucher sur la publication d’un rapport au printemps comparant les coûts et performances des produits d’assurance vie en Europe. L’efficience du mécanisme que nous établissons en France pourra être mise en valeur à cette occasion, ainsi que sa raison d’être au regard des particularités des produits d’assurance vie en France.
Je laisse maintenant la place aux tables rondes thématiques en vous remerciant de votre attention.
- Matinée de la protection des clientèles des banques et des assurances du 14 mars 2025
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