L’interrogation est légitime pour le secteur de l’assurance à double titre :

  • Avec 2628 milliards d’euros de placements, les assureurs français ont un rôle à jouer dans le financement de la transition énergétique. À fin 2017, 10% des placements des assureurs sont investis dans des secteurs sensibles au risque de transition (secteurs producteurs ou consommateurs d’énergie fossiles, d’électricité, de gaz). La part des placements des assureurs investis dans des zones géographiques soumises à un risque physique est très limitée (6% si les Pays Bas sont considérés comme une zone à risque, 1% sinon), ces investissements étant principalement localisés en Union européenne et en Amérique du Nord.

  • Le risque climatique est au cœur de l’activité des assureurs non-vie qui disposent donc d’outils de gestion de ce risque au passif, développés depuis de nombreuses années pour faire évoluer leur tarification et leur couverture de réassurance.

Afin d’établir un état des lieux précis de l’avancée des travaux au sein des assureurs français, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a réalisé une enquête auprès de l’ensemble des acteurs du marché en septembre dernier : 139 organismes, représentant 80% des placements des assureurs français, y ont répondu. Cette étude en présente les principaux résultats.

Il en ressort que si la définition du risque de changement climatique fait l’objet d’un consensus large, les outils et méthodes développés par les organismes restent très hétérogènes et sont appelés à évoluer dans les années à venir. La déclinaison du risque de changement climatique en risque physique, risque de transition et risque de responsabilité renvoie à des risques connus des assureurs, qui peuvent s’appuyer sur des outils et des procédures de gestion des risques déjà en place. Pour autant, les multiples dimensions du changement climatique imposent de nouvelles adaptations.

Les organismes d’assurance privilégient, à l’actif de leur bilan, une mesure du risque de changement climatique déterminée par l’empreinte carbone du secteur d’activités de leurs investissements ou fonction de la notation Environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) de ces investissements. Au passif, les mesures utilisées reposent sur la localisation géographique des entreprises et personnes assurées, ainsi que l’impact de scénarios adverses sur ces engagements. Cependant, la dimension prospective reste la plus difficile à intégrer dans les outils de suivi, notamment en ce qui concerne l’intégration de la déviation d’un portefeuille à un scénario de réchauffement des températures supérieur ou égal à 2°C.

De ce point de vue, deux singularités du secteur des assurances méritent d’être signalées. Tout d’abord, contrairement aux banques ou aux gestionnaires d’actifs, le risque climatique n’affecte pas seulement l’actif du bilan mais également le passif des organismes d’assurance : en effet, les risques associés à l’augmentation de la fréquence et du coût des évènements climatiques extrêmes, y compris l’augmentation induite de la mortalité et des maladies tropicales, ont des conséquences directes sur la tarification des polices d’assurance et peuvent, à terme, poser la question de l’assurabilité de certains risques, avec des implications éventuelles pour les politiques publiques. Ensuite, il ressort que l’expérience des assureurs en matière de gestion des risques climatiques est plus avancée que celle développée par les banques, avec l’utilisation régulière de tests sévères de résistance. Pour autant, l’horizon de ces tests est généralement très court (5 ans en moyenne), bien en deçà de l’horizon supposé de matérialisation du risque de transition (2030-2050). D’autre part, les modifications climatiques en cours rendent sans doute en partie caduques les historiques utilisés pour le calibrage des modèles d’évaluation des risques.

S’agissant des moyens consacrés à la gestion du risque climatique, les effectifs exclusivement dédiés à cette tâche sont encore limités, même si un grand nombre de fonctions peuvent participer à ce suivi de façon indirecte (souscription, gestion des risques, tarification…). Cette implication large passe en particulier par des formations visant à sensibiliser les équipes aux enjeux liés au changement climatique. La mise en place d’indicateurs permettant de suivre l’évolution du risque climatique est au cœur des mesures prises par les organismes. Par-delà, la limitation des investissements dans des secteurs « non-verts », la sensibilisation des gestionnaires d’actifs ou l’utilisation de leurs droits de vote pour influer dans les choix des entreprises sont également utilisés pour contribuer à l’objectif de réduction du réchauffement climatique fixé par l’Accord de Paris. Au passif, la stratégie s’articule autour de la mise en place de politiques géographiques et l’ajustement de la tarification. La mise en œuvre de scénarios climatiques élaborés pour la gestion du risque climatique reste encore à consolider.

Les dispositions de l’article 173 de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte imposent aux assureurs des obligations de transparence sur leur politique d’investissement et la gestion des risques liés au changement climatique. Depuis 2017, les rapports publiés dans ce cadre couvrent l’essentiel du marché, mais la situation des organismes de très petite taille est contrastée. Au total, la mobilisation des acteurs du marché est hétérogène : un petit groupe d’acteurs se positionne comme des leaders en matière de gestion du risque climatique mais un grand nombre d’assureurs reste dans l’attente de standards de la profession. Ainsi de nombreux rapports ne fournissent pas l’intégralité des informations attendues ou souffrent également d’imprécisions sur des points importants. Deux années après l’entrée en application de la loi, il est encore trop tôt pour avoir un jugement définitif sur une démarche qui reste complexe à mettre en œuvre. Identifier clairement les objectifs des assureurs et mesurer la progression réalisée d’une année sur l’autre reste un exercice difficile.

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Mise à jour le 20 Janvier 2025