Vœux à la place financière – Paris, 19 janvier 2021
Discours de François Villeroy de Galhau,
Gouverneur de la Banque de France,
Président de l’ACPR
Cette vidéo est une première. Nos vœux cette année sont au format « Covid » : virtuels, mais très chaleureux. Je vous les présente au nom des femmes et des hommes de la Banque de France et de l’ACPR. Que 2021 soit une année meilleure pour notre cher pays, avec les vaccins qui d’ici le deuxième semestre devraient arrêter l’épidémie. Année meilleure aussi pour vous et ceux qui vous sont chers, avec une pensée particulière pour ceux de nos concitoyens qui ont malheureusement perdu un proche dans cette épidémie.
2020 fut une année très éprouvante à bien des égards, mais une année de mobilisation collective exceptionnelle (I). Il faudra capitaliser sur cette résilience pour relever les nombreux défis de 2021 (II).
I. Les fruits de 2020 : Financement de l’économie et résilience du système financier
Face à la crise Covid, les pouvoirs publics – le Gouvernement et les banques centrales ont rapidement déployé un « pont de financement » pour aider les entreprises, notamment les TPME, à traverser ce choc et protéger leurs salariés. Les institutions financières ont ainsi été avec leurs salariés en première ligne de cette mobilisation : les banques en distribuant 130 milliards de PGE – record d’Europe, et restez-y engagées –, mais aussi les assurances – on l’a moins dit – avec nombre de gestes extracontractuels –. Vos équipes ont fait preuve d’une agilité opérationnelle remarquable. Cette résilience résulte aussi de ce que les banques et les organismes d’assurance sont entrés dans la crise avec une situation financière solide, avec notamment des fonds propres qui ont plus que doublé depuis 2008 à près de 15 % pour les grandes banques françaises, et une couverture moyenne des exigences en capital des assureurs de 239 % à fin septembre 2020.
Et s’il n’y a pas, aujourd’hui, d’inquiétude pour leur solidité financière, nous devrons rester vigilants : les incertitudes restent fortes et appellent le prolongement des dispositifs de soutien budgétaire et d’une politique monétaire accommodante. Je ne parlerai pas de celle-ci aujourd’hui, nous sommes en « silent period » avant le CGouv des 20 et 21 janvier.
II. Les défis de 2021
2021 devrait voir, après des premiers mois encore difficiles, la fin de la pandémie et le début de la reconstruction. Et pour l’industrie financière elle-même, nous devrons capitaliser sur la bonne résilience de 2020 pour relever quatre défis que je formulerai selon les points cardinaux.
1/ Le premier est bien sûr le Brexit, au Nord donc. Depuis le 1er janvier, le Royaume-Uni a perdu son passeport financier. Nous nous y étions préparés activement, et la continuité des activités financières est aujourd’hui heureusement assurée. Malgré la pandémie, près de 2 500 emplois ont d’ores et déjà été transférés et une cinquantaine d’entités britanniques autorisées pour au moins 170 milliards d’euros d’actifs relocalisés en France à fin 2020. D’autres relocalisations sont attendues et devraient s’accélérer dans le courant de cette année. Plus structurellement, le Brexit impose de développer notre autonomie financière européenne. Il faut renforcer nos infrastructures de marché, singulièrement sur la compensation des instruments de taux, avec les atouts de Paris. Et une véritable « Union de financement » doit nous permettre de mieux mobiliser l’excédent d’épargne européenne – près de 220 milliards d’euros – au profit de l’investissement productif. C’est maintenant – ou sinon, ce ne sera jamais – que nous devons saisir la double opportunité du Brexit et de la reconstruction pour faire l’Union des marchés de capitaux : je le dis de concert avec l’AMF et son Président.
2/ C’est précisément cet investissement privé qui sera décisif pour soutenir la reconstruction économique. Dans cette reconstruction, nous Européens devrons être schumpétériens tout en restant keynésiens : en 2020, l’économie américaine, à notre Ouest donc, à deux fois mieux résisté que l’économie européenne. L’après-crise ne doit donc pas être un redémarrage à l’identique ; une transformation vers une économie plus productive et « meilleure » dans trois dimensions : plus numérique, plus écologique, plus qualifiée – n’oublions jamais la bataille des compétences, celle dont on parle le moins mais qui compte le plus.
Le soutien aux entreprises doit ainsi passer d’une action générale en liquidité à une phase sélective en solvabilité, ciblant les entreprises économiquement viables mais financièrement fragilisées par la crise. Le dispositif public est là, avec les montants suffisants (20 milliards d’encours avec 30 % de garantie publique). À vous de bien l’utiliser. J’ai à cet égard deux souhaits : mieux vaut expérimenter plusieurs instruments en parallèle, non seulement prêts participatifs mais aussi obligations subordonnées et d’autres. Et non seulement banques, mais aussi assurances et fonds.
Par ailleurs, que chacun des financiers-distributeurs soit aussi co-investisseur, avec une part de risque privé – certes minoritaire – gardée en propre. Si ce devait être 100 % de risque public, nous manquerons la nécessaire sélectivité fondée sur une exigence non seulement budgétaire mais aussi, mais surtout, de productivité économique.
3/ Le troisième défi, c’est de garder le cap de la sécurité réglementaire, à l’Est – en direction de Bâle. Si la crise actuelle – sanitaire, économique –, ne s’est pas doublée d’une crise financière, c’est bien parce que notre cadre prudentiel depuis 2009 a renforcé la résilience des banques. Et donc oui, la France et l’Europe doivent rester engagées pour une mise en œuvre de l’accord de Bâle III qui soit équitable, raisonnable et définitive. Prétendre que Bâle III empêcherait de prêter aux PME, ce ne serait pas sérieux, alors que les encours aux PME ont augmenté de 20 % à fin novembre. Nous utiliserons aussi d’autres outils pour la stabilité financière : la recommandation du HCSF sur les crédits immobiliers sera publiée, ajustée, ce mois-ci, à la suite de notre décision équilibrée et efficace de décembre. Nos premiers « exercices pilote » ou stress tests climatiques seront publiés en avril. Pour le secteur de l’assurance, le cadre normatif de Solvabilité II a démontré toute sa flexibilité pour affronter les périodes de tension. Sa revue en cours a déjà marqué des progrès, à poursuivre, sur deux améliorations essentielles à nos yeux : i / Lever les obstacles non justifiés d’un point de vue prudentiel, et qui pourraient pénaliser l’investissement à long terme, ii/ Renforcer les outils contracycliques pour faire face au contexte durable de taux bas.
4/ Reste le Sud, et l’espoir de sa lumière me fait conclure par des vœux pour la santé économique de notre industrie financière. Avec plus d’un million de personnes employées, une industrie financière forte est clé pour l’emploi. Elle est également clé pour la souveraineté française et européenne, et pour mieux orienter le surplus d’épargne issu de la crise (entre 110 et 120 milliards à fin 2020) vers l’investissement de reconstruction. L’insuffisante rentabilité de nos institutions financières doit donc constituer désormais un point d’attention: de 2015 à 2019, le RoE des principales banques françaises s’est stabilisé autour de 6 % en moyenne, soit proche de la moyenne européenne mais deux fois moins qu’aux États-Unis. Ce sujet relève pour une bonne part des établissements eux-mêmes, de l’accélération de leur adaptation, de leur digitalisation, de leurs innovations particulièrement sur les paiements : nous avons deux ans – pas plus – pour construire une alternative européenne aux Bigtechs. Les Fintechs, la French tech, sont un atout de notre Place, et pas une menace. Mais les autorités publiques ont leur part : une stabilité des dispositions réglementaires et fiscales françaises, au moins pour 2021, aiderait. Et le retour prudent à la distribution des dividendes est un pas bienvenu, mais un premier pas, pour favoriser leur attractivité, et leur capacité – essentielle – à lever du capital. Pour les banques, nous appliquerons la décision très prudente du SSM. Pour les assurances, la décision relève de l’ACPR, et nous la prendrons d’ici février avec le maximum d’équilibre, y compris au regard des règles retenues ailleurs dans le monde.
2021, année d’incertitudes, mais aussi donc année de travail, année de rebond, et même année d’avancées : c’est tout ce que je nous souhaite, que je vous souhaite à chacun. Bonne année !
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- Published on 01/19/2021
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